A propos de notre débat récent sur l'acquis-versus-inné dans le domaine d'intelligence, voici les information et les sources que j'avais mentionnées.
L'un des points forts dans ce domaine est l'étude des jumeaux identiques monozygotes. Comme ils ont des gènes 100% identiques, et comme il arrive qu'ils soient parfois séparés après la naissance, ils représentent un cas modèle pour les recherches sur l'influence de l'environnement par rapport à l'influence de l'hérédité.
Mais voyons d'abord ce que parle Encyclopaedia Britannica à propos de l'hérédité de l'intelligence:
Intelligence is a very complex human trait, the genetics of which has been a subject of controversy for some time. [...] Even roughly measured as IQ, intelligence shows a strong contribution from the environment. Fraternal twins, however, show relatively great dissimilarity in IQ, suggesting an important contribution from heredity as well. In fact, it has been estimated that on the average between 60 and 80 percent of the variance in IQ test scores could be genetic. It is important to note that intelligence is polygenically inherited and that it has the highest degree of assortative mating of any trait; in other words, people tend to mate with people having similar IQ's.
Donc, le consensus des recherches scientifiques semble être que 60-80 pourcent de QI est dû à la contribution génétique.
Voici un exemple d'une telle étude, menée par Thomas Bouchard de l'Université de Minnesota dans les années 1979+, cité par Matt Ridley dans son livre "Genome". (Je n'ai qu'une traduction tchèque dont je traduirai hâtivement en français ici.) Ils ont étudié la corrélation entre les tests de QI parmi les dizaines de milliers des hommes/femmes majoritairement blanches et de la classe moyenne, et ont trouvé ceci: [0% = pas de corrélation/pas de liaison, 100% = corrélation parfaite/identité totale]
même personne testé deux fois ........... 87% jumeaux monozygotes élevés ensemble ..... 86% jumeaux monozygotes élevés séparément.... 76% jumeaux hétérozygotes élevés ensemble ... 55% frères/soeurs biologiques ............... 47% parents et enfants vivant ensemble ...... 40% parents et enfants vivant séparément..... 31% enfants adoptés vivant ensemble ......... 0% gens pas relatifs vivant séparément ..... 0%
On voit ici plusieurs choses intéressantes. (1) Tout d'abord, les résultats des jumeaux monozygotes vivant au sein d'une même famille sont pratiquement indissociables des résultats d'une même personne répétant le test plusieurs fois. (2) Même si les jumeaux vivent séparément, la corrélation est encore très grande, signalant que la famille ne joue pas un facteur décisif ici. Ce résultat lui-même est très dûr voire impossible à interpréter par les gens qui ne croient qu'à la thèse de l'influence par environnement seul, sans évoquer l'influence de la hérédité. Notons que les corrélations dans le comportement des jumeaux monozygotes ne s'arrêtent pas au QI, mais vont à des telles traits de personnalités comme les opinions sur l'apartheid, sur les mères qui travaillent, le choix de carrière, les loisirs, la façon d'aller se baigner, etc, comme les cite Steven Pinker dans son "How the Mind Works". Mais je ne voudrais pas trop m'arrêter sur ce sujet aujourd'hui, car les chiffres parlent d'eux-mêmes. (3) Si on regarde les résultats d'enfants adoptés, on peut même conclure que "la vie dans la même famille n'a aucune influence sur le QI"! (4) Les résultats plus élevés pour jumeaux hétérozygotes par rapport aux frères/soeurs biologique suggèrent aussi une forte importance de la vie prénatale dans l'utérus.
En bref et en gros, les conclusions ont été les suivantes:
- ~50% de QI est héréditaire;
- moins de 20% de QI vient de la vie de famille;
- le reste vient de la vie prénatale, de l'école, des copains, etc.
(Note importante: il ne faut pas oublier que les personnes testées ici ont été issues à peu près du même environnement: classe moyenne, race blanche. "Quand une recherche sur les adoptions des enfants d'une autre race a été faite, une corrélation faible a été détectée entre le QI des parents et le QI des enfants adoptés, grande de 19%". Les autres auteurs précisent encore davantage. Je reviendrai là-dessous vers la fin.)
Mais il y a plus. La corrélation grandit avec l'âge des enfants, et non pas diminue. Ceci va a l'encontre des idées populaires, car avec le temps, malgré les études et l'expérience de la vie, la prépondérance de l'hérédité croît et non pas décroît (enfants 45%, jeunes hommes 75%). Ceci démontre que l'influence des gènes ne "s'arrête pas" avec la naissance et que l'influence des autres personnes sur nous-même diminue avec le temps. Plus on grandit, plus on choisi notre environnement par adaptation avec nos facultés innées, plutôt que d'adapter nos facultés innées à l'environnement où on est mis. On peut considérer ceci comme une sorte de freinage génétique d'urgence qui nous protège contre les influences éventuelles de l'environnement hostile tels que les tuteurs trop possessifs ou l'état totalitaire trop laveur-cerveau etc.
Mais il y a encore plus. Même si 50% de QI est déterminé par les gènes, les chiffres ci-dessus démontrent l'importance capitale de la vie prénatale, la phase de développement. Ridley même parle que "les événements qui se sont passés avec nous dans l'utérus ont une influence sur notre intelligence trois fois supérieure à tout ce que les parents ont pu faire avec nous après la naissance". Où sont ces gènes? Certainement il n'y a pas un seul "gène pour intelligence" mais l'influence est dû aux beaucoup de gènes dans leur travail collectif et compliqué. Les études ont montré une certaine influence de "gènes directes" qui codent les protéines qui aident à brûler la glucose dans le cerveau pendant l'apprentissage. Mais il y a aussi l'influence des "gènes indirectes" qui aident à réagir contre le stress et les toxines pendant notre vie prénatale. En fait, il a été montré que la valeur de QI corrèle avec le développement plus ou moins harmonique dans le ventre de la mère. Autrement dit, si le stress de grandissement prénatal était moins élevé, le QI devenait plus élevé. D'où l'importance des gènes indirectes qui "maîtrisent" le stress ou les toxines pendant ce stade de développement. Mais ces gènes indirectes ne peuvent fonctionnent que avec l'environnement environnant, pas tous seuls de leur propre gré! Donc, en somme:
"On ne hérite pas de QI, mais seulement la capacité d'acquérir un certain QI dans un certain environnement. Comment séparer donc la biologie et l'environnement? Franchement, ceci n'est pas possible."
Ceci nous a mené dans le coeur de la dispute inné-versus-acquis: les deux contributions sont indissociables. Steven Pinker dans son "How the Mind Works" parle:
If the mind has a complex innate structure, that does not mean that learning is unimportant. Framing the issue in such a way that innate structure and learning are pitted against each other, either as alternatives or, almost as bad, as complementary ingredients or interacting forces, is a collosal mistake. [...] Yes, every part of human intelligence involves culture and learning. But learning is not a surrounding gas or force field, and it does not happen by magic. It is made possible by innate machinery designed to do the learning.
Matt Ridley a conclu son chapitre sur l'intelligence comme ceci:
Après deux millions d'années de notre culture, quand nos ancêtres transmettaient les traditions locales acquises, le cerveau humain pouvait acquérir (par évolution) la capacité de chercher et de faire travailler les facultés qui ont été enseignées par la culture locale et dans lesquelles l'individu excellait. L'environnement, dans lequel l'enfant grandi, est aussi bien le résultat de ses gènes que des facteurs externes; l'enfant cherche et modèle son propre environnement. S'il a des intérêts techniques, il développera ses qualités mécaniques; s'il aime la lecture, il cherchera les livres. Les gènes peuvent créer les goûts, non pas les aptitudes. Après tout, la haute héréditabilité de myopie est cause non seulement par la hérédité des formes de l'oeil, mais par la hérédité des habitudes de la lecture. La hérédité de l'intelligence peut être alors dans la même mesure la question de l'environnement ainsi que la question de la biologie. Ceci est une conclusion très satisfaisante pour les 100 années des disputes démarrées par Galton.
Le principe que l'enfant ou l'homme modèle son propre environnement est connu depuis 1890s comme "l'effet de Baldwin" et dit a peu près que "les hommes se spécialisent sur ce dans lequel ils sont bons, et en faisant ceci ils créent les conditions qui prospèrent à leurs gènes" comme l'a reformulé Matt Ridley dans son autre livre "The Red Queen. Sex and the Evolution of Human Nature".
Comme conclusion, je voudrais répéter que:
On ne hérite pas de QI, mais seulement la capacité d'acquérir un certain QI dans un certain environnement.
Revenons maintenant brièvement aux interprétations philosophiques. Les tests de corrélation mentionnés ci-dessus ont compté avec un environnement grosso-modo similaire (race blanche, classe moyenne). D'autres études avec les races différentes et les classes pauvres/riches ont trouvées d'autres chiffres et les corrélations plus élevées (davantage que les 19% cite plus haut). Dans l'environnement propice on peut développer ces capacités; dans l'environnement moins propice ou carrément hostile on ne peut pas. (C'est comme avec la taille des personnes; ce facteur d'apparence est hautement héréditaire (beaucoup plus que le poids, par exemple), mais dans le passé les aliments étaient manquants ou pas assez nutritifs, donc la majorité des personnes n'avaient pas atteint leur "taille génétique" ce qui ne s'observe plus dans le monde actuel.) L'environnement plus ou moins propice est le mot clé pour éviter la piège de la "fatalité biologique". Comme l'a dit Stephen Jay Gould:
L'erreur de ceux qui croient à la hérédité ne consiste pas dans le fait que le QI ne soit pas "héritable" jusqu'à un certain niveau, mais dans le fait qu'ils mettent un signe d'égalité entre "héritable" et "inevitable".
Les gènes ne prédéterminent rien purement; ils n'expriment que les possibilités et les capacités que nous pouvons ou non développer ou atteindre dans la réalité de notre environnement. Un exemple facile pourrait être le problème médicale de la sensibilité du métabolisme à la lactose chez certaines personnes. Cette sensibilité à la lactose est bien de l'ordre génétique, mais nous sommes bien libres de se décider soit de manger et boire des quantités de lait et ainsi de laisser ce gène s'exprimer par des problèmes médicales, soit de ne pas en manger et laisser ce gène "dormir".
Comme il a été montré ci-haut, la recherche semble dire que le QI a bien une forte influence génétique (~50%) et une forte influence d'environnement (~50%), et que les deux ne sont pas dissociable et que l'on ne peut tout simplement pas parler de l'une ou de l'autre en soi-même. Ceci me semble être fort heureux du côté philosophique, car on est guidé: (1) loin du mythe de la détermination génétique pure, qui pourrait porter vers les eugénismes et autres racismes de ceux qui ont par exemple oublié que les différences des QI intra-raciales sont beaucoup plus importants que les différences éventuelles de QI moyenne inter-racials; mais aussi (2) loin du mythe de la détermination par environnement pure et de la "tabula rasa", qui pourrait porter soit vers la fatalité soit vers le monde totalitaire de Big Brother avec son éducation totalitaire pour former les bons citoyens de la patrie par un dressage de cerveaux de petits enfants. Comme a dit si bien Matt Ridley dans son "The Red Queen. Sex and the Evolution of Human Nature":
Le déterminisme culturel ou environnementale de type au laquelle adhèrent la plupart de sociologues serait aussi cruel et son crédo aussi effrayant que le déterminisme biologique lequel il attaque. La vérité est, D. merci, telle que nous sommes un mélange indivisible et flexible des deux. Nous sommes le produit de nos gènes seulement dans le sens que les influences génétiques se développent et se forment sous l'influence des expériences, exactement comme un oeil apprend à déterminer les formes ou l'esprit apprend le vocabulaire. Et nous sommes le produit de l'environnement culturel seulement dans la mesure ou nos cerveaux apprennent quelque chose de cet environnement.
Acquis avec inné, ensemble, travaillant dûr pour apprendre quelque chose de notre environnement!
P.S. Les sources citées ci-dessus:
- Matt Ridley: "Genome"
- Matt Ridley: "The Red Queen. Sex and the Evolution of Human Nature"
- Steven Pinker: "How the Mind Works"
(Ces auteurs écrivent de manière assez captivante, claire, et amusante. Même si vous ne seriez pas d'accord avec eux, je ne peux que les recommander. De la solide matière à réfléchir pour des lectures critiques.)